Réinventer l’intégrité académique à l’ère de l’intelligence artificielle

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Dans ce troisième ouvrage de l’IRAFPA (Institut International de Recherche et d’Action sur la Fraude et le Plagiat Académiques) publié chez EMS dans la collection « Questions de société », les auteurs nous invitent à considérer les transformations technologiques d’une ampleur sans précédent, où l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme un phénomène qui redessine en profondeur les structures mêmes de notre société. Le monde académique, socle premier de la production et de la diffusion du savoir, est particulièrement affecté.

Au fil des chapitres, le livre Réinventer l’intégrité académique à l’ère de l’intelligence artificielle jette les bases d’une réflexion approfondie sur la manière dont l’intelligence artificielle, et plus particulièrement l’IA générative, bouleverse les paradigmes de la recherche, de l’enseignement et de la gestion des institutions académiques. Cette technologie a fait des avancées spectaculaires en très peu de temps. Elle offre aujourd’hui des opportunités sans précédent pour accélérer la production et la diffusion du savoir : elle permet de traiter des volumes de données massifs, d’automatiser des tâches complexes et d’optimiser la gestion des ressources humaines. Toutefois, ces succès indéniables s’accompagnent de défis inédits, notamment sur les plans de l’éthique, de l’intégrité académique et de l’organisation institutionnelle.

La première partie de cet ouvrage s’intitule « Formation, information et intelligence artificielle ».

Morgan Blangeois explore les requêtes et les usages de l’IA générative dans trois activités du chercheur : la recherche bibliographique, le traitement de données, la rédaction de textes. Repenser l’intégrité académique à l’ère de l’IA exige de comprendre comment elle fonctionne. Or, les IA génératives, comme ChatGPT ou d’autres modèles de langage avancés, permettent d’automatiser des tâches qui, autrefois, nécessitaient un travail intellectuel considérable. Ceci redessine les extensions comme les limites des critères d’originalité, de créativité, d’éthique et de déontologie académique menant à une connaissance scientifiquement valide et socialement intègre. Aussi est-il nécessaire d’informer/de former chercheurs, étudiants, encadrants, éditeurs et… fraudeurs potentiels.

• De leur côté, Marie-Frédérique Bacqué et Pedro Urbano analysent la relation étroite de l’IA et des nouvelles générations de chercheurs, en particulier Y et Z. D’un point de vue sociologique, ces générations se distinguent par leur rapport singulier aux technologies de l’information et de la communication. Elles abordent l’IA non seulement comme un outil d’innovation, mais aussi comme une extension naturelle de leur quotidien. Pour ces personnes qui ont aujourd’hui entre 15 et 40 ans, l’IA fait partie intégrante de leur manière de penser, d’apprendre et de produire du contenu. Cette familiarité avec la technologie, si elle est un atout indéniable, peut cependant les exposer à la tentation de tricher ou d’utiliser ces outils de manière non éthique.

• Puis, avec une approche résolument pragmatique, Frédérick Bruneault et Andréane Sabourin Laflamme expliquent comment leur « trousse à outils pédagogique » propose dix activités qui apprennent aux étudiants à utiliser intelligemment les outils de l’IA. Ces jeunes générations sont façonnées par des phénomènes sociaux inédits : la culture des réseaux sociaux, l’image de soi, la validation sociale et la rapidité de la reconnaissance jouent un rôle crucial dans la construction de l’identité individuelle et collective.

• Parce qu’ils accompagnent des étudiants en thèse allophones, Yves Frédéric Livian et Robert Laurini livrent une analyse très actuelle des échanges entre accompagnants et étudiants. L’objectif est de former de futurs chercheurs à une utilisation éthique et responsable de l’IA, tout en conservant un sens aigu de leur réflexion critique et de leur contribution intellectuelle personnelle. Dans cette démarche qui appelle une grande maturité, les étudiants ne peuvent ni ne doivent être laissés à eux-mêmes. Une conclusion s’impose : le renforcement du lien social entre le pédagogue et l’étudiant, mais plus encore le retour en force d’une culture de l’oralité dans le processus de formation qui devra contrebalancer des décennies de simple évaluation « scolaire » de l’écrit.

La deuxième partie de cet ouvrage s’intitule « Publications et Intelligence artificielle ».

• Cinta Gallent-Torres et Rubén Comas-Forgas analysent tout d’abord l’écosystème de la surpublication et son impact sur le monde universitaire. Les auteurs de ce chapitre montrent comment les dynamiques actuelles de production de savoir sont davantage régies par des impératifs de rentabilité et de visibilité : la recherche est souvent perçue comme un produit à vendre sur un marché compétitif. Dans ce cadre, l’IA devient une aubaine pour ces marchands de publications. L’automatisation de la recherche encourage la multiplication d’articles redondants et superficiels, ce qui dilue la valeur réelle du savoir produit. L’optimisation de la chaîne de production se fait au détriment de la qualité et de l’intégrité scientifique.

• Dans son chapitre, Ignace Haaz analyse la pratique littéraire depuis son poste d’observation d’éditeur. Traditionnellement, la publication scientifique est le fruit d’un processus rigoureux de recherche, de vérification et de validation par les pairs. Cependant, avec la capacité de l’IA à générer de manière autonome des textes cohérents et détaillés, il devient plus difficile de distinguer les travaux véritablement innovants de ceux qui ne sont que des répliques ou des compilations automatisées de travaux existants. Comment garantir que l’utilisation de l’IA ne conduira pas à une érosion de la rigueur linguistique ? Pour l’auteur de ce chapitre, une automatisation de la production scientifique poserait des questions cruciales sur l’authenticité et l’originalité du contenu d’un manuscrit.

• De leur côté, Delphine Szecel, Tom Melvin et Wouter Oosterlinck se penchent sur le lien entre deux phénomènes : le financement de la recherche médicale publiée… et les conflits d’intérêts. En facilitant la production massive de contenus, l’IA encourage potentiellement des publications malhonnêtes fondées sur du plagiat ou de la fabrication de données. Les auteurs clarifient ce qu’est la « science ouverte » avant de montrer que ces outils présentent des risques considérables, comme publier dans des revues prédatrices ou dans des revues peu regardantes dans leurs évaluations des articles soumis. Les auteurs considèrent que l’intégration de l’IA dans le processus de recherche doit être accompagnée d’une réflexion éthique approfondie pour garantir que ces technologies enrichissent la production scientifique plutôt que de l’appauvrir.

La troisième partie de cet ouvrage s’intitule « Les organisations et l’intelligence artificielle ».

• Dans leur chapitre, Jean Moscarola et Michel Kalika exposent comment un institut international d’études doctorales a dû très rapidement intégrer les usages de l’intelligence artificielle dans le respect le plus absolu de l’intégrité académique. L’IA générative, avec sa capacité à synthétiser de grandes quantités d’informations en un temps record, semble parfois court-circuiter le lent processus de maturation de la recherche. Pour les auteurs, ces défis appellent une transformation des pratiques pédagogiques : l’accent doit être mis non seulement sur l’apprentissage technique, mais aussi sur le développement d’une pensée critique capable de naviguer dans un monde de plus en plus automatisé.

• Ghislaine Alberton montre que l’impact de l’intelligence artificielle (IA) s’étend également à la gestion des ressources humaines dans les institutions académiques. L’introduction croissante des systèmes d’IA dans la gestion des carrières transforme profondément ces processus clés que sont le recrutement, la promotion ou l’évaluation des performances des chercheurs et des enseignants. En théorie, les systèmes d’IA sont censés être objectifs et impartiaux. Cependant, les algorithmes sur lesquels ils reposent sont souvent biaisés par les données avec lesquelles ils ont été entraînés, lesquelles sont le produit de choix humains subjectifs. Le recours à l’IA dans la gestion des carrières académiques soulève donc des questions importantes concernant les droits fondamentaux des chercheurs, notamment en ce qui concerne la transparence des décisions, la non-discrimination et l’équité dans le traitement des candidatures et des promotions.

• Susana Magalhães fait des propositions pour adapter les directives en matière d’intégrité dans un contexte où l’intelligence artificielle provoque beaucoup d’incertitudes. Le véritable défi auquel sont confrontés les centres de recherche ne réside pas uniquement dans l’adoption de l’IA, mais dans la manière dont cette technologie peut être intégrée de manière éthique. Il faut réformer les systèmes d’évaluation de la recherche de manière à favoriser la qualité et l’originalité plutôt que de se concentrer uniquement sur les métriques quantitatives. Les récits d’expérience et la délibération éthique sont appelés à jouer un rôle crucial pour gérer les incertitudes. Il s’agit enfin intégrer l’IA aux pratiques de recherche d’une manière transparente et éthique, en reconnaissant ses potentiels et en évitant ses dérives.

Les auteurs de cet ouvrage nous invitent à explorer les implications à long terme de l’IA à partir de leurs différentes perspectives disciplinaires : chirurgie, droit, éducation, gestion, informatique, médecine, philologie, philosophie, psychologie, psychanalyse et sociologie. Un modèle de production académique « à la chaîne », dans lequel la créativité humaine et l’intuition intellectuelle seraient partiellement confiées à des machines, bouleverserait les fondements mêmes de l’autorité et de la légitimité scientifique. En fin de compte, l’IA représente un défi pour les institutions académiques, non seulement en termes d’adaptation technique, mais aussi dans leur rôle social.  

A nous de nous saisir aujourd’hui de ce défi pour la connaissance.

Michelle Bergadaà, Paulo Peixoto

michelle.bergadaa@unige.ch et pp@uc.pt

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