Situation en Argentine : provoquer une révolution culturelle

Durant son voyage en Argentine, le professeur Jean Ruffier, président d’USF a rencontré un universitaire argentin, partisan et conseiller proche du président Milei. Voici son point de vue sur l’action de Milei.

Son diagnostic : l’Argentine est dans une situation proche de celle de 1970 (i.e. avant le coup d’État militaire). En 1970, l’Argentine était aussi riche que l’Espagne. Depuis, elle n’a fait que descendre relativement à l’Espagne. Le pays donne l’impression d’une révolution permanente mais, en fait, il est extrêmement stable. Un ancien cuisinier de la résidence présidentielle faisait remarquer : « les présidents changent régulièrement mais ceux qui viennent manger sont toujours les mêmes ». Le statu quo est très solide et c’est un modèle d’appauvrissement par la création de toute sorte de rentes au profit de groupes dominants. Les syndicats reçoivent 3 % des salaires.

Les dirigeants des grandes entreprises ont beaucoup agi pour fermer l’économie. Les groupes de pression sont si puissants que la tentation des gouvernements est de les acheter pour avoir la paix ; il n’y a pas d’autre voie que de réduire le coût de tels privilèges paralysants.

L’idée est donc de se couper de ces rentiers du mouvement social et de réduire ces rentes, en ouvrant le marché du travail et celui des produits.

En gros, les patrons pourront directement choisir leurs employés sans passer par une agence, les produits ne seront plus vendus par des monopoles. La plupart des lois ont été rédigées par des militaires dans tout ce qui est aviation et spatial. Ce qui veut dire qu’on n’est plus compétitif dans le domaine. C’est la même chose pour les communications. Les groupes privés sont obligés de passer par un monopole qui contrôle et qui taxe les autres acteurs du domaine. Des royalties sont prises sur toutes les activités. Le naval aussi est un monopole, résultat l’Argentine n’a pratiquement pas d’industrie de la pêche, en tout cas pas compétitive. Il cite alors Gramsci : Gramsci a dit que pour gagner le pouvoir, les socialistes doivent commencer par prendre les universités, la culture, les ONG, les syndicats.

Discussion : J’en déduis que l’équipe de Milei voit le péronisme comme la cible, mais pas la seule cible : il y a aussi les groupes de pression des capitalistes nationaux historiques. Le conseiller me contredit en disant qu’il n’a rien contre les péronistes, les syndicats, les patrons privés, etc., qu’il veut simplement faire exploser un système culturel qui fait que le prix des fertilisants est deux fois plus cher en Argentine que dans les pays voisins.

Pour lui, ce gouvernement a été élu pour mettre sur la table des choses qui jusque-là étaient taboues. Le premier résultat est qu’un mur du silence est tombé. Et le débat est commencé sur la nécessité de remettre en cause le système. Le président tape fort, mais cela reste dans le cadre de la démocratie : dans la démocratie tous les points de vue sont acceptés, mais il faut qu’il y ait débat et des votes.

L’Argentine n’est pas habituée à ce débat.

La stratégie pour réduire le système de blocage par les syndicats, et les monopoles rentiers : tout combat non engagé est perdu, et donc avec les moyens qu’il a, le gouvernement va mener tous les combats qu’il peut mener pour ouvrir ce système à l’idée d’une fin des rentes et des privilèges. Il pense s’attaquer directement au système qui résulte de l’histoire et suppose que les avancées obtenues suffiront à inverser la tendance vers plus de débats et surtout plus d’efficience politique.

En conclusion, j’ai trouvé que ce discours éclaire l’action hors norme du président Milei. Beaucoup d’opposants sont d’accord avec le diagnostic, mais s’opposent à ses actions radicales et provocatrices.

Milei veut réduire les subventions mais n’a aucune majorité pour faire voter des lois, donc il se contente de supprimer par décrets les subventions qu’il peut supprimer. Il laisse les institutions et les fonctionnaires en place, mais il bloque toute évolution des salaires et des budgets, laissant l’inflation à 20 % par mois accomplir son programme de diminution des coûts. La question est simplement de voir le temps que tiendra le pays, avant. La question est simplement de voir le temps que tiendra le pays, avant que l’économie argentine ne s’écroule complètement.

Nos collègues argentins ont tous perdu au moins 35 % de pouvoir d’achat en quelques mois, et ils ne savent pas de quoi demain sera fait. Les gens n’achètent que le minimum vital.

Milei semble se satisfaire d’émettre constamment des idées transgressives, et cela va bien dans l’idée de faire une révolution culturelle. Peut-être là se trouve sa principale faiblesse : penser être capables de provoquer un choc culturel sans attaquer directement les groupes de pression qui sont apparemment si bien installés. Beaucoup pensent qu’il sera prochainement destitué car le système législatif semble pouvoir le faire. Aura-t-il d’ici là réduit suffisamment la dette sans pour autant ruiner l’Argentine pour que le pays parte sur des bases viables ? L’avenir nous le dira…

Pour de plus amples renseignements et débats, contacter le professeur Jean Ruffier, jean.ruffier@usf-awb.net.

Jean Ruffier

Président de L'USF
Picto

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