Mission USF en Côte d’Ivoire (Novembre 2023)


Cette mission est la première que je fais en Afrique subsaharienne. Je suis plutôt compétent sur les problèmes de développement industriel en Amérique latine, en Chine, voire au Maghreb. Comme président nouveau d’USF, il était important pour moi de tâter de cette partie du monde où ont lieu bon nombre de nos interventions. Je vais d’abord parler de ce que j’ai fait à Bouaké, puis à Abidjan. Je ferai un point sur les migrations de jeunes vers la France, et terminerai sur ce que m’ont appris les Ivoiriens sur la vie.

Université Allassane Ouattara à Bouaké

Il s’agit d’une université publique. La présidence, mais aussi le corps enseignant, sont très preneurs d’intervenants extérieurs car ils se sentent un peu isolés, voire négligés par la capitale. Moins autonomes que les universités privées, ils peuvent difficilement prendre en charge un billet d’avion de France et il importe de signer une convention plus adaptée à leurs possibilités administratives. Mais leur désir de coopération est tel qu’ils ont tendance à se coller aux propositions qu’USF leur fait.

J’y ai donné une conférence sur ce que la Côte d’Ivoire peut retirer du décollage industriel chinois. Plus de 15 enseignants et près de 200 étudiants la suivront. Je leur explique comment le régime a laissé se développer un peu anarchiquement des petits patrons privés, tout en les suivant de près, à la fois pour reproduire ce qui marchait et éventuellement faire le ménage. Puis j’ai parlé de la corruption qui ne doit pas être vue comme l’ennemi principal du développement, car les petites entreprises privées n’auraient autrement guère accès à ceux qui donnent les autorisations (ou acceptent le non-respect de certains règlements). J’ai répondu à plus d’une demi-heure de questions ininterrompues (en gros, on ne pensait pas que les Chinois étaient aussi désorganisés dans leurs usines, on les imaginait plus travailleurs et disciplinés). Le reste des questions est sur l’adaptation des Chinois en Côte d’Ivoire. Les auditeurs sont très intéressés par ma méthode d’enquêtes sur et avec les entreprises. Cette méthode consiste à constituer une équipe plurinationale et à interviewer tous les niveaux hiérarchiques en cherchant avec chaque niveau ce qui peut être la meilleure stratégie pour s’en sortir mieux. Cette méthode permet entre autres d’améliorer les liens entreprise-université.

Une université privée le RUSTA de Côte d’Ivoire

C’est elle qui m’a fait venir et payé l’essentiel de cette mission. Nous avons discuté avec la direction mais essentiellement préparé les missions futures. En matière de besoin, l’université tient une revue en sciences de gestion et problèmes organisationnels. Elle cherche un rédacteur en chef adjoint, de préférence français. Elle cherche aussi un universitaire d’Europe ou Afrique du Nord désireux de faire une année sabbatique au RUSTA à Abidjan. Pour tout renseignement s’adresser à rusta.ustci@gmail.com.

Rencontre de Pierre Therme, attaché à la coop universitaire (Ambassade de France)

Son premier diagnostic est que la Côte d’Ivoire n’a pas l’Université au niveau de sa puissance économique et que cela entrave son développement. Il comprend que des jeunes veulent partir parce que réellement beaucoup de portes sont fermées (réservées à la nomenclatura). De plus, il n’existe aucune instance fiable de classement ou d’évaluation des universités publiques ou privées. Cela rend l’offre de formation particulièrement obscure. Lui-même a voulu appuyer une demande de certification d’une formation BTS stratégique. Malgré la solidité du dossier, cette demande traîne et on ne sait si elle sera obtenue. Des formations beaucoup plus douteuses mais disposant d’appuis politiques ont pu être satisfaites très rapidement.

Pour lui, ce qui manque le plus, ce sont des BTS (Bacc+ 2 et 3) en prise sur l’activité économique du pays. Les industriels seraient prêts à financer contre une participation à la définition des programmes.

Une réforme récente, celle de la création d’Universités thématiques, peut vraiment favoriser l’emploi et le développement économique. Il constate que ces universités sont animées par des professeurs plus jeunes bien formés (en général en France).

Sur les migrants

Mon épouse a interrogé beaucoup de chauffeurs, ainsi que de commerçants pour les convaincre de ne pas envoyer leurs enfants en Europe. Avec des arguments lourds (25 % de mortalité dans le désert et la mer, 95 % de tortures et de mauvais traitements, viols généralisés). Ses interlocuteurs ont du mal à la croire car cet aspect de la traversée leur est apparemment inconnu, il y a un black-out, les jeunes ne leur racontent que ce qui marchent donc ils ont l’impression d’un pays d’opportunités. Quand elle dit que les passeurs sont des criminels, l’étonnement se voit sur les faces de ses interlocuteurs. Le flux n’est pas encore près de se tarir.

Et pourtant, les mêmes jeunes que nous voyons joyeux et entreprenants en Côte d’Ivoire se retrouvent démolis et globalement malheureux en France. Ils ont plus d’argent, mais une vie beaucoup plus pénible et des traumatismes multiples qui vont longtemps peser sur eux. Et pourtant ce flux est tout à fait antidéveloppement : les villages rassemblent autour de 7000€ pour chaque enfant envoyé. Cet argent doit revenir sous la forme d’une rente. S’il était investi dans la formation et l’aide à l’installation du même jeune, il participerait davantage à l’amélioration de l’économie locale.

En guise de conclusion

Dans cette mission, j’aurais plus appris qu’enseigné. J’ai appris le poids des hiérarchies universitaires tant dans le privé que dans le public. Les décisions sont prises au sommet ce qui paralyse l’initiative des enseignants, comme des étudiants, et surtout rend les décisions plus longues et plus opaques. Heureusement, existe la tradition du palabre qui permet aux Africains de résoudre entre eux nombre de problèmes. Cela dit, la Côte d’Ivoire est un pays actif, en croissance, et tout à fait ouvert aux Français particulièrement.

Pour de plus amples renseignements et débats, contacter le professeur Jean Ruffier, jean.ruffier@usf-awb.net.

Jean Ruffier

Président de L'USF